
Chapelle Darblay, le phénix industriel
19 juin 2025
Chapelle Darblay, le phénix industriel
L’État, après tant d’années de sommeil profond, s’est enfin souvenu qu’il existait à Grand-Couronne une papeterie nommée Chapelle Darblay. Mieux vaut tard que jamais, il vient d’annoncer un soutien financier de 52 millions d’euros. À condition, bien sûr que les investisseurs privés viennent eux aussi vider leurs poches sur l’autel de la réindustrialisation.
Ne boudons pas ce réveil tardif. Le projet : fabriquer des cartons d’emballage recyclés, réduire l’utilisation de l’eau, de l’énergie, limiter les rejets, et faire pousser des emplois là où, hier encore, fleurissaient les plans sociaux. Jusqu’à 200 postes directs créés.
Mais rappelons les faits, puisque la mémoire flanche vite, surtout sous les ors de la République. Qui donc a étranglé Chapelle Darblay ? Une vieille histoire bien française : il est d’abord urgent de fermer pour mieux réfléchir après. En 2019, UPM, géant finlandais du papier, annonce la fin de l’usine. Motif ? Non-rentabilité. Le sésame sinistre qui permet de balayer d’un revers de main des savoir-faire, des familles, des vies entières. 228 salariés jetés à la rue. Et avec eux, la dernière papeterie française capable de produire du papier journal 100 % recyclé. Tant pis pour l’écologie. Tant pis pour l’emploi. Tant pis pour la France.
Alarme sociale
Après le fracas de l’annonce, c’est le grand silence. En juillet 2020, les machines s’arrêtent. Mais les syndicalistes, eux, veillent. Jour et nuit, car sans machines, pas de renaissance possible. Ils protègent les presses, les lignes, les savoir-faire. En avril 2021, à Paris, au ministère de l’Économie, ils sont environ 120 pour dire au pouvoir que l’industrie, ce n’est pas qu’un mot pour les plateaux télé. La pression monte, les élus vacillent. En mai 2022, la métropole de Rouen, sort de sa torpeur, préempte l’usine et évite le pire : le démontage, la revente au kilo, l’oubli honteux. Première victoire.
Suit la bataille des repreneurs. Des projets fumeux, grotesques parfois, défilent. Les ouvriers tiennent. Et puis enfin…Veolia et Fibre Excellence arrivent avec un plan crédible. Mais l’État reste avare comme un Harpagon veillant sur sa cassette. Il fait durer, deux ans encore, avant de libérer l’aide. La renaissance est actée.
Un projet solide
Les repreneurs veulent que Chapelle Darblay produise du carton d’emballage 100 % recyclé. Dix ans d’approvisionnement garantis par Veolia. Une cogénération biomasse pour verdir l’affaire. Un outil modernisé pour réduire l’eau, l’énergie, les rejets. Quatre cent mille tonnes de carton visées. Deux cent cinquante emplois à terme. Bref, un projet solide, sérieux, qui tient debout sans béquille.
Mais ne nous trompons pas d’héroïsme. Ce n’est pas l’État qui a sauvé Chapelle Darblay. Pas les industriels soudain repentis. Pas les élus réveillés en sursaut. C’est la lutte des salariés, de la Filpac CGT, qui a refusé l’enterrement, l’abandon, le néant. Ce sont eux qui ont sauvé l’usine. Preuve éclatante, criante, que l’industrie peut vivre encore, si des hommes se battent pour elle.