Intersyndicale du journal L'Alsace

Lettre ouverte aux membres
du conseil d’administration de L’Alsace

8 novembre 2018

Partagez :
Partager sur Facebook
Partager sur Twitter

Les élus de L’Alsace alertent la direction en interne depuis début septembre sur les divers problèmes rencontrés depuis le transfert de l’impression aux DNA. N’ayant aucune réponse concrète et la situation devenant intenable, ils ont saisi l’occasion du conseil d’administration d’hier, mercredi 17 octobre, pour rédiger une lettre ouverte au président ainsi qu’aux membres du conseil d’administration.

Avant la lecture de la lettre, vos élus ont précisé au conseil d’administration que les salariés de L’Alsace étaient conscients que la décision de recapitalisation de l’entreprise à hauteur 91,5 M€ était un acte fort et un soutien considérable décidés par le Crédit Mutuel (à titre de comparaison, cette somme représente le résultat annuel des 100 meilleures caisses alsaciennes). Cela n’empêche qu’il nous a semblé impératif  d’alerter nos décideurs sur les dysfonctionnements qui engendrent de la virulence, voire de l’agressivité chez des lecteurs-clients-annonceurs et de la souffrance pour les salariés.

Le message est mal passé. La forme n’était visiblement pas la bonne et c’est regrettable. M. Carli  a manifesté son mécontentement en lâchant un cinglant « les grincheux peuvent quitter l’entreprise et je travaillerai avec ceux qui en ont envie ».

Pourtant ce n’est pas un blocage au plan de la direction que nous évoquions, mais bien une analyse globale de ce qu’il faut mettre en œuvre pour préserver notre fonds de commerce que sont les abonnés papier, en attendant que le journal numérique soit porteur de revenus. La mauvaise qualité du papier, les casses (machine ou papier), les problèmes d’encartage, les regroupements d’éditions, les éditions uniques, les retards de livraison, les non-livraison, etc. produisent des débordements de toutes sortes de la part des clients et impactent chaque maillon de notre entreprise. Le mécontentement des abonnés n’est qu’une étape avant les décommandes massives si les incidents de livraison continuent.

M. Carli n’a pas nié les problèmes de qualité papier, incriminant des bobines venant du Canada. Concernant les délais de bouclage, il a indiqué que nous étions dans la moyenne de la PQR et que <i>Le Dauphiné Libéré</i> qui boucle à 22 h n’a pas un compte d’exploitation négatif. Le président a également affirmé que tous les soucis de portage ne s’expliquent pas par des problèmes d’imprimerie, qu’il y avait des risques mais que des mesures étaient mises en place pour les compenser.

Pour clore la réunion, c’est un administrateur qui a eu le mot de la fin, dans un esprit plus apaisant, en demandant « patience » et « confiance » aux salariés.

Patience car il faut du temps pour que tout se mette en place, tant au niveau logistique à Strasbourg qu’au niveau des projets de développement de nos journaux qui seront source de revenus ; confiance en notre actionnaire et nos dirigeants qui mettent les moyens pour y arriver.

Une invitation plutôt positive à laquelle les salariés ne demandent qu’à adhérer. Il n’est pas sûr que nos lecteurs-clients-annonceurs aient cette patience ni cette confiance en notre entreprise.

Il est de la responsabilité de notre direction de mettre tout en œuvre pour préserver nos abonnés papier tout en développant le numérique.


Monsieur le Président,

Mesdames et Messieurs les actionnaires,

L’ensemble des syndicats du journal L’Alsace s’adresse à vous.

Le Comité Social et Economique de L’Alsace avait émis, à la présentation par la direction du plan de restructuration industrielle, un avis défavorable. Non pas uniquement pour ses conséquences sociales, mais surtout car, après une analyse approfondie, nous étions arrivés à la conclusion que ce plan était fragile techniquement et pouvait mettre notre entreprise en danger.

Trois mois d’application semblent malheureusement nous donner raison. La fermeture du centre d’impression à Mulhouse est une catastrophe pour nos deux journaux alsaciens.

Les problèmes techniques récurrents à l’imprimerie des DNA entraînent des retards de livraison ou des regroupements d’éditions aux conséquences déplorables. En six semaines, à date, onze gros incidents ont entraîné en moyenne 1 h à 1 h 30 de retard, sans compter les problèmes d’encartage, les éditions non imprimées et les journaux sans suppléments. Les porteurs de journaux sont en grande difficulté, parfois dans l’impossibilité de livrer, les abonnés se plaignent de plus en plus et notre service clients est débordé. Le personnel est au bord du syndrome d’épuisement professionnel car harcelé par des lecteurs-abonnés exprimant vertement, parfois furieusement, leur colère de ne pas avoir leur journal. Pire encore, nos vendeurs abonnements sont pris à partie physiquement sur les stands commerciaux des foires et salons. Les abonnés sont virulents et parfois incontrôlables.

Qu’en sera-t-il lorsque les conditions de circulation seront impactées par l’hiver ?

Le bouclage des pages avancé à 22 h empêche L’Alsace de publier des informations. Cela affecte notamment les pages sportives et nos journalistes sont pris à partie sur le terrain. Certains ont essuyé de vifs échanges, à la limite de l’échauffourée avec des supporters locaux.

Pourtant, la direction promettait que tout avait été étudié et que le transfert de l’impression était possible techniquement, sans problème majeur. Aujourd’hui, non seulement L’Alsace n’est pas livré en temps et en heure, mais Les Dernières Nouvelles d’Alsace subissent les mêmes conséquences. Et la qualité de l’impression se dégrade, malgré les efforts considérables des imprimeurs strasbourgeois.

Les craintes que nous avions évoquées sont devenues réalité aujourd’hui. Le regroupement des deux imprimeries a été présenté comme une source d’économie, force est de constater que les impacts économiques globaux risquent au contraire d’être néfastes pour les deux entreprises. Le travail à flux tendu et la qualité du papier manifestement médiocre engendrent bourrages et casses papier et ne permettent plus aux équipes de tirer nos deux journaux avec leurs éditions respectives dans le délai contractuel avec nos abonnés.

Attention, la fusion de certaines éditions ne saurait être présentée comme une solution pour un gain de temps machine. Les clients sont mécontents des résultats non communiqués, si en plus ils n’y retrouvent plus l’information locale voire micro-locale, l’intérêt de leur achat quotidien deviendra très vite nul.

Pour nous, la direction d’EBRA n’a pas mesuré la réalité de la presse régionale, et tout spécialement celle de l’Alsace. L’affirmation que le journal numérique va être la solution aux problèmes du groupe est une erreur fondamentale : si le modèle économique du journal papier s’est fragilisé, celui du journal numérique n’a pas encore été trouvé.

Par ailleurs, c’est une aberration d’ignorer que nos journaux alsaciens ont cet énorme avantage d’être vendus à 80 % par abonnements payables d’avance mais qu’en contrepartie, ils doivent être livrés avant 7h du matin. Nos fidèles abonnés sont mécontents et les décommandes (limitées pour le moment) vont croître si aucune mesure n’est prise rapidement.

Mesdames, Messieurs,

soit nous sommes face à une totale incompétence de notre direction générale et technique, ce qui paraît inconcevable, soit on veut sciemment affaiblir nos deux quotidiens avec l’objectif inavoué d’abandonner le support papier à brève échéance.

Nous vous demandons solennellement d’intervenir afin que des investissements soient réalisés, notamment en terme de qualité papier, afin de permettre au centre d’impression de Strasbourg et à la chaîne de routage, de répondre aux défis que le plan de la direction lui assigne.

Nous souhaitons que la suite du plan de restructuration soit à nouveau discutée avec les instances représentatives du personnel, tenant compte de l’expertise de chacun.

Nous vous demandons qu’une analyse particulière soit menée pour que soit mesuré ce qu’il faut entreprendre afin de préserver nos journaux papiers en attendant que la presse numérique fasse ses preuves économiques.

Des sacrifices ont été faits, des décisions douloureuses ont été prises, les efforts des salariés sont quotidiens pour tenter d’assurer leurs métiers et de s’adapter aux défis qu’impose la mutation de notre lectorat vers le numérique. Cette mutation ne doit pas se faire au détriment du papier, qui reste notre première ressource. Il ne saurait être question pour nous d’abandonner notre essence : la presse quotidienne régionale au service du lecteur.