#PasSansParisNormandie !
Paris Normandie : Les salariés mobilisésInterview croisée de la Filpac-Cgt et du SNJ
18 mai 2020
Quel est votre regard sur l’état de la presse française en ce printemps 2020, notamment en raison de l’impact du coronavirus ?
Avant la crise sanitaire, la presse connaissait déjà des difficultés économiques importantes, même s’il faut nuancer ces niveaux de difficulté en fonction des différentes formes de presse (magazine, quotidienne, spécialisée) et des supports utilisés (papier, numérique).
Le Covid-19 n’a bien souvent fait qu’accélérer les complications rencontrées par certains titres et l’évolution de certaines pratiques de lecture. Le virage numérique engagé par des éditeurs s’est accentué, comme les difficultés rencontrées par les publications déjà en souffrance telles que Paris Normandie ou La Marseillaise.
La baisse importante des ressources publicitaires, la chute des volumes imprimés liée en partie aux restrictions de La Poste, le regroupement d’éditions locales et la crise structurelle de Presstalis n’ont fait qu’amplifier les problèmes économiques rencontrés sur l’ensemble du réseau et augmenter la perte de lecteurs papier, qu’on ne retrouve qu’en partie sur les supports numériques.
Fait aggravant, le nouveau mode de distribution mis en place par le gouvernement Philippe avec la réforme de la loi Bichet, met un terme à un système unique au monde qui permettait aux citoyens de profiter d’une diversité éditoriale sans commune mesure avec ce qui existe chez nos voisins européens. À la crise de la presse quotidienne va donc venir s’ajouter une crise inédite de la presse magazine, qui provoquera la disparition d’un grand nombre de titres.
En quoi la presse quotidienne régionale est-elle particulièrement fragilisée par cette crise ? Son indépendance est-elle en jeu ?
La presse en région présente la particularité d’avoir une implantation territoriale forte.
Une grande partie de sa fragilité tient à la baisse de la manne publicitaire et, plus récemment, des difficultés de distribution sur son territoire de prédilection, dues au confinement et à la fermeture de nombreux points de vente.
Toutefois, cette forme de presse a un avenir et des moyens de croissance, si elle sait répondre à l’appétence importante des citoyens pour une information de proximité et de qualité. Les titres qui ont su développer, à côté du quotidien, des suppléments économiques sectoriels, culturels, éducatifs, progressent, alors que ceux qui se contentent de reproduire l’existant par des économies d’échelle et de ressources importantes périclitent.
L’indépendance, là encore, dépend de la situation économique des titres. Mais on constate depuis plusieurs années la disparition de titres indépendants ou leur intégration dans des groupes financiers (Banque Rothschild, Crédit Mutuel ou Crédit Agricole) ou de géants du numérique (Niel par exemple).
La concentration des titres pose immanquablement la question du traitement de l’information par les journalistes, avec comme risque principal, une uniformisation de l’information telle qu’elle se produit par exemple dans le groupe EBRA, pour toute la façade Est de la France.
Bien entendu cela pose un grave problème d’indépendance éditoriale et met à mal le pluralisme des idées. La mise en place de sociétés de rédaction, élargies aux lecteurs, pourrait d’ailleurs devenir un rempart contre ce nivellement journalistique. Cette coopération professionnelle et citoyenne pourrait aussi permettre une consolidation capitalistique. C’est tout le sens de notre projet de SCIC à Paris Normandie, qui s’appuie sur les travaux d’universitaires et d’économistes spécialistes de la presse (Julia Cagé, Jean-Marie Charron, etc.).
Comment la presse quotidienne régionale peut-elle se relever de cette épreuve ? Peut-elle se réinventer à cette occasion ?
La presse régionale a un vrai rôle à jouer dans les territoires si elle décide de devenir le garant d’une presse locale indépendante, construite sur une vraie diversité de l’information. Elle ne doit pas laisser les groupes des multimillionnaires (Dassault, Bouygues, Niel, Bolloré etc.) s’accaparer tous les réseaux pour y déverser la même information édulcorée ne servant qu’à formater l’opinion publique.
Elle est un élément essentiel de la vie économique et démocratique locale, qui doit permettre aux territoires de renforcer leur identité. La Filpac croit beaucoup à l’avenir de la presse quotidienne et hebdomadaire régionale et départementale. Elle perçoit cette presse comme un élément central de notre vie démocratique et culturelle.
Il faut donc que cette presse revienne à une approche au plus près des territoires pour redevenir le « moteur » de la vie sociale, par des actions de valorisation des enjeux locaux. Cela nécessite de développer plus d’éditions locales et de repenser les outils industriels de son impression comme de sa diffusion.
L’avenir de la presse passera-t-il uniquement par le numérique ?
Non, le numérique est bien évidemment un support essentiel au développement de la presse mais ce support ne remplacera pas le produit papier. Le numérique est complémentaire du papier et même si nos « grands » penseurs libéraux estiment que le papier est mort, nous sommes convaincus, à la Filpac, qu’ils se trompent. Comme ils se sont trompés en annonçant la mort du livre papier avec l’arrivée du livre numérique…
80 % du chiffre d’affaire de la presse sont réalisés grâce au journal papier et ce n’est pas près de changer. Il faut donc renforcer les droits d’auteurs des journalistes et les droits voisins afin d’éviter le pillage systématique de la presse d’information et d’investigation par les GAFAM.
Le papier doit rester le support de l’information sûre et vérifiée !
Aujourd’hui très peu de titres de presse numérique peuvent se targuer de produire ce genre d’information, même si quelques plateformes numériques commencent à se développer sur internet. Et dès que leur audience atteint un niveau acceptable, ces journaux numériques, à l’instar de Médiapart, sortent des périodiques papier en complément de leur site d’information.
On peut affirmer que l’avenir de la presse devra être multi-support et reposer obligatoirement sur une information de qualité. Une information vérifiée par des salariés formés, avec un vrai statut. Ce qui tue la presse, c’est la médiocrité, la précarité des travailleurs et l’uniformisation de l’information.