Pôle économique de la CGT
Pour réduire le déficit du commerce extérieur, il fautréindustrialiser et renforcer l’appareil productif
13 février 2018
Le solde du commerce extérieur de la France se dégrade encore en 2017 et s’établit à 62 milliards, après 48 milliards en 2016. Déjà en 2016, le déficit avait augmenté de plus de 3 milliards.
La moitié de cette nouvelle dégradation est liée à la hausse de la facture énergétique. Mais le fait alarmant est la hausse du déficit des échanges de biens manufacturiers ; déficit qui résulte de plusieurs décennies de désindustrialisation et d’affaiblissement de l’appareil productif.
Pour réduire le déficit du commerce extérieur, il ne suffit pas d’inciter les entreprises à exporter davantage. Il faut avant tout réindustrialiser et renforcer l’appareil productif.
Une nouvelle hausse du déficit des échanges de produits manufacturiers
Traditionnellement, on explique la dégradation du solde du commerce extérieur par la hausse de la facture énergétique. En effet, le solde énergétique passe de -31,5 milliards en 2016 à -39,0 milliards en 2017. Cet alourdissement de la facture énergétique explique plus de la moitié de la dégradation du solde du commerce extérieur en 2017 (7,5 milliards sur les 14 milliards du déficit supplémentaire).
Toutefois, il serait erronée de se contenter de cette explication, car le vrai problème réside dans la dégradation du solde des échanges de produits manufacturiers qui passe de 35,3 milliards en 2016 à 40,6 milliards en 2017.
La plupart des experts et des media minimisent cette dégradation du déficit des échanges des produits manufacturiers en rappelant que l’activité économique s’accélère en France, ce qui, disent-ils, conduit automatiquement à une hausse des importations.
Cette explication superficielle cache une réalité grave : l’affaiblissement de notre capacité à produire pour répondre aux besoins des ménages et des entreprises.
A cause de cet affaiblissement, à cause des décennies de désindustrialisation, nous nous retrouvons dans un cercle vicieux où la hausse de la demande liée à l’accélération de l’activité économique provoque une augmentation des importations pour répondre à cette demande. En particulier, la hausse des exportations nécessite d’augmenter les importations de produits que les entreprises exportatrices utilisent en tant que « biens intermédiaires » pour fabriquer les produits qu’elles exportent.
Cette incapacité à répondre à la demande intérieure atteste aussi de l’extraversion des grandes entreprises qui réalisent plus de la moitié de leurs chiffres d’affaires et emplois à l’étranger.
Le choix erroné de la hausse des exportations par la baisse du « coût du travail »
Depuis la promotion de la fameuse « économie de l’offre » par F. Hollande et son conseiller de l’époque, E. Macron, le mot d’ordre des gouvernements est la hausse des exportations et celle du nombre d’entreprises exportatrices. Il s’agit surtout, nous dit-on, de faciliter le développement des PME et de leur transformation en ETI (entreprise de taille intermédiaire) dont le fiable nombre est présenté par les experts du gouvernement et du patronat comme un « handicap » pour la France.
Cette stratégie est fondée sur un diagnostic erroné selon lequel les « coûts salariaux » trop élevés et les réglementations contraignantes en France, notamment en matière du droit du travail, handicaperaient les entreprises en général, surtout celles qui exportent. D’où de nombreux dispositifs pervers : « pacte de compétitivité », CICE, ordonnances travail…
Ce discours n’est évidemment pas propre à la France. Il est omniprésent partout. Autrement dit, le choix de la hausse des exportations sur le dos des salariés s’inscrit dans une logique de mise en concurrence des travailleurs au profit des détenteurs de capitaux. Sa contrepartie est la hausse de la part des profits dans les richesses produites par les travailleurs.
Le graphique suivant retrace l’évolution de la productivité apparente du travail (c’est-à-dire ce que produisent les salariés en un laps de temps donnée) et celle des salaires dans les principaux pays industriels. On voit effectivement que la productivité du travail progresse beaucoup plus vite que les salaires ; la différence va dans les poches des actionnaires et des propriétaires d’entreprises.
Le poids des groupes et de leurs filiales
En 2017, le nombre total des entreprises exportatrices est de 124 060, soit autant qu’en 2016. Parmi elles, 23 % n’exportaient pas en 2016. Inversement, 23 % des exportateurs de 2016 n’exportaient plus en 2017. Ces arrivants et sortants sont principalement des petites entreprises.
Il faut souligner que l’appareil exportateur français reste très concentré. Les grandes entreprises ne représentent en 2017 que 0,4 % du nombre total des entreprises exportatrices mais effectuent 52 % des exportations totales de biens depuis la France. A l’inverse, les PME qui sont largement majoritaires en nombre ne représentent que moins de 1 % des exportations de biens. Au total, plus de la moitié des exportations est réalisée par les grandes entreprises et un tiers par les ETI.
Les 100 premiers exportateurs réalisent 40 % des exportations totales de biens. Les 1 000 premiers concentrent plus de 70 % de ces exportations. Ces 1 000 premiers exportent chacun en moyenne environ 335 millions d’euros.
A l’opposé, 90 % des exportateurs réalisent seulement 5 % des ventes à l’international pour un montant annuel moyen de 215 000 euros.
En 2017, les grandes entreprises ont augmenté leurs ventes à l’étranger de 3,7 %. Quant aux ETI, leurs exportations ont progressé nettement plus vite (+6,2 %), mais leur nombre n’a augmenté que légèrement (+0,6 % par rapport à 2016). Ces ETI sont majoritairement filiales de groupes français et réalisent, en 2017, plus d’un tiers (35 %) des exportations depuis la France.
En guise de conclusion : la hausse des exportations ne peut être en soi un objectif de politique économique
On le voit bien : la hausse des exportations sans poser la question fondamentale du développement des capacités de production est un choix pervers, car à cause de l’insuffisance des capacités de production en France qui résulte de la désindustrialisation et du manque d’investissement productif, pour exporter plus on doit importer encore plus. Pour la même raison, pour répondre à la demande de consommation des ménages, on doit importer davantage.
A cause de ce choix, l’Etat accorde chaque année des dizaines de milliards d’aides et d’exonérations sociales et fiscales aux entreprises, sans résultat probant.
Au lieu d’augmenter la pression sur les salariés et de gaspiller l’argent de cette manière, il faut utiliser l’argent pour améliorer la qualité de nos produits.
Cela nécessite d’augmenter les dépenses pour améliorer les qualifications et les salaires, la recherche-développement, les infrastructures et les services publics.
Cela nécessite aussi des droits pour les salariés et leurs représentants pour intervenir sur les choix stratégiques des entreprises.
C’est le sens de nos revendications face aux projets du gouvernement et du patronat.