Espace revendicatif – Pôle Travail Santé Protection sociale - Activité retraite
RETRAITESPrésentation du dossier revendicatif retraite
28 septembre 2017
RETRAITES
1 – Le système de la retraite et ses enjeux
- La structure du système français de retraites
- Les grands principes
- Une succession de réformes… et de luttes
2 – Les propositions de la CGT
3 – La retraite et le contexte électoral de 2017
Le nouveau président de la République a inscrit, dans son programme électoral, l’objectif d’une réforme complète du système de retraite français : « Nous créerons un système universel de retraites où un euro cotisé donne les mêmes droits, quel que soit le moment où il a été versé, quel que soit le statut de celui qui a cotisé ».
Derrière cette affirmation fièrement drapée dans une vertu égalitariste se cachent des conséquences autrement pernicieuses, avec la perceptive de pensions rabougries et la disparition de la solidarité interne aux régimes actuels. Les vieilles justifications vont ressurgir : faux privilèges des uns et des autres, oppositions stériles entre générations, professions, entre actifs et chômeurs, malades et bien portants…
La CGT dispose d’un ensemble revendicatif cohérent sur le dossier retraite, résultat de nos luttes et de nos congrès. Encore faut-il que celui-ci soit intégré et porté par l’ensemble de nos organisations, de nos militants, de nos adhérents.
Dans la perspective d’une CGT « d’attaque » sur le sujet, une série de dossiers et de fiches thématiques seront régulièrement transmis aux organisations du CCN.
Le présent dossier en constitue le premier élément.
– Il décrit, dans ses grandes lignes, le système de retraite tel qu’il est aujourd’hui en France, avec ses enjeux (1).
– Il présente les revendications de la CGT, en insistant sur leur cohérence et sur leurs liens avec nos propositions concernant le travail, l’ensemble de la protection sociale et son financement (2).
– Enfin, il procède à une première approche de la promesse électorale du Président de la République de réformer l’ensemble du système français de retraite (3).
1 – Le système de la retraite et ses enjeux
La structure du système français de retraites
– Salariés / non-salariés
Le « système » de retraite englobe les salariés en emploi ou non (90 % de l’emploi total) et les non-salariés (10 % de l’emploi total).
Trois principaux régimes de non-salariés (2,8 millions de travailleurs non-salariés en 2016) : le RSI (Régime Social des Indépendants : industriels, artisans, commerçants), la MSA (Mutualité Sociale Agricole : exploitants agricoles), la CNAVPL (Cnav Professions libérales). Le RSI et la MSA sont déficitaires, pour deux raisons principales : pyramides des âges défavorables et cotisations historiquement insuffisantes. Leur déséquilibre financier est compensé par les régimes de salariés (CNAV, CNRACL, S R Etat) et la CNAVPL.
CNAV + MSA salariés + RSI constituent les « régimes alignés.
Enjeux :
– Le rapprochement des régimes de non-salariés avec la CNAV tend à masquer la compensation financière apportée par les salariés et à voiler la question de l’assiette et du niveau de cotisation des non-salariés.
-Enjeu régime unique (cf. 3ème partie de ce dossier).
-Rappel historique : le « régime universel » qui n’a pas pu se mettre en place en 1945.
– Privé / Fonction publique / Régimes spéciaux
- Les salariés du secteur privé sont en grande majorité affiliés au « régime général », les salariés de droit privé recrutés par l’Etat et les collectivités publiques également, (non titulaires…). 17,5 millions de cotisants, 13, 2 millions de retraités sont ainsi gérés par la CNAV.
- Les fonctionnaires de l’Etat sont affiliés au SRE (Service des Retraites de l’Etat). 2,1 millions de cotisants, 2,3 de retraités.
- Les fonctionnaires des collectivités territoriales et des hôpitaux appartiennent à la CNRACL (Caisse Nationale de Retraite des Collectivités Locales) 2,2 millions de cotisants, 1,1 million de retraités.
- Les salariés des « régimes spéciaux » sont gérés par des caisses « d’entreprise ». Les principales :
-Energies électriques et gazières (145 000 cotisants et 160 000 pensionnés)
-Cheminots (153 000 cotisants, 270 000 pensionnés)
-RATP (42 000 cotisants et 40 000 pensionnés)
Enjeux :
Utilisation par les gouvernements successifs de la division public / privé (cf. ci-dessous).
– Multiplicité de régimes
La multiplicité résulte de l’histoire, 36 régimes aujourd’hui dont une petite dizaine de régimes importants. En fait, aujourd’hui, de forts rapprochements ont été imposés par les réformes. Les principaux droits (âges, durées, indexation…) sont largement alignés. D’autre part, une tutelle de plus en plus stricte est imposée par les pouvoirs publics, y compris sur les complémentaires. La dernière réforme, de janvier 2014, a mis en place des structures de coordination concernant l’ensemble des régimes, de base, complémentaires, du privé et du public.
La multiplicité des régimes est donc largement maîtrisée ; le problème est que cette maîtrise reflète une étape décisive d’étatisation technocratique.
Enjeux : La proposition Macron d’un régime unique censé dépasser la multiplicité des régimes. Notre proposition CGT de « maison commune des régimes de retraite » : conserver les principaux régimes avec leurs règles spécifiques de calcul, mais coordonner démocratiquement l’ensemble du système. Les différences entre régimes se situent dans les mécanismes d’acquisition des droits : sur la durée dans les régimes F.P. et spéciaux, sur les niveaux de rémunération dans le privé. Cela correspond à des nécessités. Mais les niveaux de pensions obtenus sont comparables à qualification et parcours comparables (voir plus loin).
– Base / complémentaires
Les salariés du secteur privé ont un « régime de base » (la CNAV) et un ou des « régime-s complémentaire-s » affiliés à l’ARRCO (ouvriers et employés), l’AGIRC (cadres) ou l’IRCANTEC (non titulaires de l’Etat et des collectivités). Les salariés statutaires du secteur public (Fonction publique et régimes spéciaux) n’ont pas de régimes complémentaires.
Les régimes de base sont gérés plus ou moins directement par l’Etat et/ou la Sécurité Sociale. Les régimes complémentaires du secteur privé sont gérés dans le cadre du paritarisme.
Enjeux : Les enjeux concernant le paritarisme et les relations intersyndicales. « L’accord » Agirc/Arrco et la fusion programmée pour le 1er janvier 2019
– Annuités / points
- Le régime général (régime de base), et les régimes spéciaux sont en annuités. Les droits à retraite sont calculés à partir de la durée accumulée (durée d’assurance) et du niveau des rémunérations d’activité (salaire de référence).
Dans le secteur privé la durée d’assurance est calculée en trimestres ; chaque trimestre est acquis à partir d’un niveau de salaire (à partir d’une rémunération équivalente à 150 h de SMIC 1 trimestre est acquis). Ce paramétrage permet par exemple aux salariés à temps partiel d’obtenir 4 trimestres par an.
Les salaires sont « portés au compte » retraite (CNAV) tous les ans. Le salaire de référence permettant le calcul de la pension ou « salaire annuel moyen » (SAM) est constitué par les 25 meilleures années de la carrière. On exclut ainsi les moins bons salaires.
On voit que le système par annuités organise par la construction des paramètres qu’il retient une redistribution vers les salariés précaires, ce qui serait moins le cas dans un système par points.
Dans la Fonction publique et les régimes spéciaux, la durée est aussi comptée en trimestres, mais à partir de la durée effective (du 1er au dernier jour d’activité). Le salaire de référence est constitué par celui perçu pendant au moins six mois avant le départ.
- Les régimes complémentaires (ARRCO, AGIRC, IRCANTEC) sont en points.
Les cotisations sur salaires sont converties en points, à partir d’une « valeur d’achat du point » fixée par le CA suite aux accords entre « partenaires sociaux ». Les points sont accumulés au long de la carrière et convertis en pension à partir d’une « valeur de service du point » également déterminée par la même méthode.
Enjeux :
Il y a, depuis plusieurs années, des demandes récurrentes pour une « simplification » qui consisterait à créer un « régime unique par points ». Avec comme arguments : plus de clarté, plus d’équité. En fait il s’agit surtout de mettre en place un mécanisme davantage « contributif » et plus facile à maitriser d’un point de vue comptable. (Proposition Macron).
Le COR (Conseil d’Orientation des Retraites) a démontré qu’une telle réforme serait coûteuse et ne correspondait à aucune nécessité.
– Les formules de calcul des pensions
- Dans le Régime Général :
Pension = SAM x Taux x | Durée d’assurance effective au RG en trimestres —————————————————————— |
Durée pour l’obtention du taux plein |
SAM : salaire annuel moyen, soit la moyenne des salaires des 25 meilleures années, indexées en fonction de l’inflation et plafonnées (36 616 € annuel en 2016) Taux : le taux plein (maximum) est à 50 %. Il peut être atteint soit par l’âge (67 ans à partir de la génération 1955) soit par la durée d’assurance tous régimes confondus (selon génération, 172 trimestres à partir de la génération 1973)
Le rapport entre la durée effective (numérateur) et la durée requise pour l’obtention du taux plein (dénominateur) est appelé « coefficient de proratisation ».
- Dans la Fonction publique
1°/ Calcul du taux : T = | Durée d’assurance effective x 75 % —————————————————————— |
Durée pour l’obtention du taux plein | |
2°/ Calcul de la pension : Taux x dernier traitement détenu pendant 6 mois |
- Décote / surcote
Dans tous les régimes, un taux de « décote » ou « coefficient de minoration » est appliqué aux pensions déterminées ci-dessus, si la durée effective est inférieure à la durée requise et si l’âge d’annulation de la décote n’est pas atteint. -1,25 % par trimestre manquant, appliqué au taux plein (50 % dans le régime de base, 75 % dans le public), jusqu’à un plafond de 20 trimestres manquants.
Un taux de « surcote » est appliqué pour chaque trimestre accompli au-delà de l’âge d’ouverture et au-delà de la durée requise.
Enjeux :
1 – La question du salaire de référence pour le calcul de la retraite. Salaire moyen dans le privé, dernier salaire dans le public (FP et Régimes spéciaux). Il y a deux modes de calcul différents parce qu’il y a deux modes de déroulement des carrières différents (en principe carrières linéaires dans le public, souvent diverses et heurtées dans le privé). Rappelons qu’au final les pensions sont équivalentes à carrières comparables.
2 – La nécessité d’intégrer la totalité des rémunérations dans l’assiette (cf. financement).
3 – La question de la période de salaires à retenir dans le privé : actuellement les 25 meilleures (les 10 meilleures avant 1993) et la proposition Macron qui prend la totalité de la carrière, ce qui remet en cause la redistribution en pénalisant les plus précaires.
4 – La question de la durée requise (aujourd’hui 172 trimestres pour la génération 1973 soit 43 annuités).
5 – La question de l’indexation des salaires. L’indexation des salaires des années antérieures sur les prix produit un SAM très inférieur à l’indexation précédente (avant- 1983) sur les salaires des actifs.
6 – La décote et la surcote.
Perte de pouvoir d’achat des pensions imputable à l’indexation sur les prix :
Entre le1er janvier 2004, première année de généralisation de l’indexation des pensions sur les prix, et le 31 décembre 2014, les pensions n’ont progressé que de 17,52 % (prix + 16,83 %) alors qu’une indexation sur le salaire moyen aurait produit une augmentation de 29,09 %.
Décote surcote : des mécanismes qui pénalisent les femmes :
En 2015, dans le régime de base du privé (CNAV), 10,57 % des femmes ont vu leur pension diminuée par la décote, contre 7,86 % pour les hommes. Par ailleurs, 14,77 % des femmes ont vu leur pension majorée par la surcote, alors que 16,04 % des hommes en ont bénéficié.
– Répartition / capitalisation
En répartition, les cotisations de tous les actifs de l’année N sont collectées et globalisées pour financer toutes les pensions de l’année N. La démarche est collective et ouvre des possibilités d’aménagement de solidarités dans la distribution des pensions. En capitalisation, chaque cotisation est inscrite sur un compte individuel et mise sur le marché financier, jusqu’au départ à la retraite. Le « capital » constitué est transformé en rente mensuelle. La démarche est individuelle. Le niveau des pensions est soumis aux aléas du marché boursier.
Enjeux :
La répartition constitue la meilleure garantie qui puisse être donnée aux jeunes générations. Par construction, il y aura toujours une activité économique produite par des salariés pour financer les retraites. En capitalisation il peut y avoir –et il y a eu- des faillites totales d’organismes financiers gestionnaires de retraites.
La capitalisation s’inscrit dans la financiarisation dangereuse de l’économie.
La logique profonde de la capitalisation se résume ainsi : les parents ont intérêt à licencier leurs enfants pour « rentabiliser » les placements financiers qui alimentent leurs retraites.
– Prestations définies / cotisations définies
Un régime à prestations définies garanti un niveau de pension au moment du départ à la retraite. Par exemple, il peut garantir un taux de remplacement de 75 % (le rapport entre la première pension et le salaire d’activité de référence). Pour obtenir ce résultat, il faut intervenir sur les paramètres de gestion du régime, notamment les cotisations (mais aussi l’âge, la durée, le salaire de référence…). Ce mécanisme donne des garanties pour l’avenir car il assure un niveau de prestation.
Un régime à cotisations définies garantit un plafond de cotisation, c’est-à-dire qu’un niveau maximum de cotisation ne sera pas dépassé. A partir de cette « garantie », le niveau des prestations et notamment celui de la pension elle-même, est imprévisible à long terme puisqu’il sera ajusté en fonction des possibilités permises par ce niveau de cotisation.
Un régime par répartition peut être à prestations définies ou à cotisations définies. Idem pour un régime par capitalisation.
Enjeux :
Le principe de la répartition domine largement le système de retraite français.
Les tenants de la capitalisation continuent leur forcing, même si leur succès est encore limité. Mais, notre système par répartition était aussi à prestations définies, centré sur la garantie d’un taux de remplacement (rapport entre la première pension et la rémunération moyenne des dernières années).
Les réformes successives ont progressivement fait basculer le système français vers une dominante « cotisation définie ». La pression continue des employeurs pour diminuer leur part de financement a largement trouvé écho.
L’enjeu de la prestation définie est donc un objectif central dans notre démarche.
– Les principes de la retraite de la Sécurité Sociale : répartition + prestations définies + solidarité
Au double mécanisme répartition + prestation définie, le système de retraite construit à la Libération s’ajoute un troisième pilier : la solidarité. Une solidarité interne au système de retraite et aux différents régimes. Cette solidarité permet de mutualiser les risques pouvant advenir tout au long d’une vie de travail : chômage, maladie, handicap, bas salaires… de compenser des interruptions d’activité incontournables : maternité… ou des pertes de revenus impactant fortement les ressources des retraités : pensions de réversion…
La part de la solidarité a augmenté de façon importante dans l’ensemble du système de retraite français. Elle a nécessité un financement supplémentaire, en partie en provenance de la CSG et autres taxes, c’est-à-dire hors cotisations vieillesse.
Enjeux :
La pression patronale pour limiter, voire réduire, les financements par cotisations sociales incite les gouvernements à restreindre la solidarité interne assurée par les régimes pour la transférer à la « solidarité nationale » avec un financement par l’impôt ce qui représente autant d’économies pour les entreprises.
La retraite doit rester SOLIDAIRE, comme le réclame la CGT.
Une succession de réformes… et de luttes
– L’élan de 1945
On constate –grosso modo- qu’à partir de la création de la Sécurité sociale en 1945 et jusqu’en 1983, des réformes se sont succédé pour améliorer progressivement les droits à retraite des salariés, tous régimes confondus. Amélioration du taux de remplacement (de 20 % à l’origine dans le régime de base il passe à 50 %) diminution jusqu’à 37,5 annuités de la durée exigible, abaissement de l’âge de 65 à 60 ans, développement des mécanismes de solidarité…
Une remarque importante : le financement de ces progrès est assuré par une hausse régulière des cotisations. Une première entorse dans cette phase de progressions : en 1983, l’indexation des salaires « portés au compte », jusque-là assise sur le niveau des salaires constatés chaque année, passe à une nouvelle référence : l’évolution des prix mesurée par l’INSEE, système beaucoup moins favorable. Cette mesure du « tournant de la rigueur » devait être provisoire, elle ne sera, en réalité, pas reprise.
– Le tournant de 1993, les réductions successives des droits
A partir de 1993 le virage se confirme et s’aggrave. Avec la réforme Veil-Balladur ce sont les droits à retraite qui sont dégradés : allongement de la durée de 37,5 annuités à 40 dans le Régime général, et de la période de référence des salaires qui passe des 10 meilleures aux 25 meilleures années.
L’objectif est clair : la démographie et la montée du chômage réclament des financements supplémentaires, le gouvernement répond par une diminution des droits sur le long terme de manière à faire baisser le niveau des retraites potentielles et donc réduire les besoins de financement. La stratégie du patronat s’impose : diminuer les retraites pour diminuer la contribution des entreprises au financement de la protection sociale.
Les réformes suivantes suivront exactement les mêmes principes. En 2003 (et après l’échec de Juppé en 1995), Fillon-Woerth appliquent les dispositions Weil-Balladur à la Fonction public puis aux régimes spéciaux, ils indexent les pensions sur les prix pour tous les retraités. En 2010, Sarkozy élève les âges pivot (60 à 62 et 65 à 67 ans).
– Le tournant de 2014 / 2015 : les réformes de la gouvernance
La réforme Hollande de 2014 s’inscrit dans la même lignée en prolongeant jusqu’à 43 le nombre d’annuités nécessaires pour le taux plein. Mais elle s’attaque à un autre aspect : la « gouvernance » du système de retraite, sous la contrainte des traités européens. Un « Comité de suivi des retraites » (CSR) composé de cinq « experts » nommés par le gouvernement devient le référent stratégique pour l’ensemble du système. Un groupement d’intérêt public dénommé « Union Retraite » est chargé de coordonner la gestion de tous les régimes.
Les acteurs sociaux sont dépossédés du peu de latitude qu’il leur restait, le Parlement idem. Les régimes complémentaires, gérés en principe de façon paritaire, tombent sous la tutelle de ces structures.
Cette réforme de la gouvernance est cohérente avec l’objectif de maîtrise comptable de l’ensemble du système, régimes de base et complémentaires confondus. Il s’agit de répondre aux exigences patronales de réductions de « charges » et aux contraintes des traités européens sur les « déficits publics ».
La revendication d’une fusion des régimes actuels en un seul régime, par points, revendiquée par la CFDT et proposée par le candidat Macron s’inscrit dans cette démarche. Il ne s’agit pas tant de simplifier que de pouvoir mettre en place un système d’équilibrage financier programmé et quasi automatique, reposant clairement sur le principe de la cotisation définie. En outre, un tel mécanisme sort le « dossier retraites » du champ politique et sociétal pour le confiner à une gestion strictement administrative et comptable.
– Les complémentaires, la fusion ARRCO – AGIRC
Etablie pour les cadres en 1947 et unifiée pour les non-cadres en 1961, les retraites complémentaires obligatoires par répartition ont deux objectifs initiaux :
- – pour la part de salaire inférieure au plafond de la sécurité sociale (environ deux salaires minimum), passer d’un taux de remplacement théorique de 50% avec le régime général à 75% au total (base + complémentaire) ;
- – pour la part de salaire supérieure au plafond de la sécurité sociale, permettre un taux de remplacement théorique de 75%.Comme pour les régimes de base l’objet des réformes successives est de faire baisser le taux de remplacement du salaire d’activité. L’accord d’octobre 2015 unifie les régimes complémentaires du privé en 2019, fragilise le statut des cadres et la reconnaissance de l’ensemble des qualifications, anticipe un passage à 63 ans de l’âge de départ en retraite, car il établit une décote de -10%, pendant 3 ans, si on n’a pas travaillé 4 trimestres de plus que la durée requise pour une carrière complète au moment du départ en retraite. Le caractère complémentaire de ces régimes signifie que c’est le régime de base qui détermine les paramètres essentiels de la retraite. C’est sur la base des droits établis par le régime général que le régime complémentaire abonde la retraite. L’adossement de ces régimes par points sur des régimes de base par annuités limite fortement la logique contributive, anti-redistributive, des régimes par points. Des dispositifs de solidarités ne sont intégrés par les régimes complémentaires (chômage, handicap,…) qu’en miroir de leur reconnaissance dans le régime de base. Pour l’IRCANTEC, régime complémentaire des contractuels de la fonction publique, la sévérité des réformes a été rendue inutile par la réforme de 2010 et le passage aux 62 ans pour l’âge de départ. L’unification entre l’IRCANTEC et le régime unifié du privé établi en 2019 serait une étape vers un régime unique par points.
Enjeux :
Passer à un régime unifié uniquement par points fragiliserait l’ensemble des dispositifs de solidarité.
Passer à un régime par points déconnecté du régime général favoriserait l’individualisation, l’affaiblissement des repères d’âge et de durée, une retraite à la carte où les conditions d’un niveau de retraite permettant une vie digne seraient renvoyées à un choix individuel.
2 – Les propositions de la CGT
Les revendications de la CGT en matière de retraites sont présentées dans la fiche n° 23 des repères revendicatifs confédéraux. La partie concernant le financement est développée dans la fiche n° 21 (droit à la protection sociale). Il est bien entendu nécessaire de se reporter à ces deux fiches –notamment– qui synthétisent nos propositions et arguments.
Les développements qui suivent s’appuient sur ces deux fiches. Ils mettent en avant, d’une part, les valeurs et les principes sur lesquels nous construisons notre action et, d’autre part, les objectifs revendicatifs sur lesquels nous devons rester mobilisés.
► Répondre au défi démographique : l’allongement de la vie doit rester un PROGRÈS
L’allongement de la durée de la vie est indéniable. Cela résulte de progrès technologiques et notamment médicaux considérables. Le temps de vie passé en retraite, après des dizaines d’années de travail, est lui aussi en progression. Ces bonnes nouvelles pour l’humanité doivent-elles être gérées comme s’il s’agissait de calamités ?
C’est en effet dans cet esprit que les derniers gouvernements ont abordé le défi démographique et ont prétendu le régler : puisque les retraités vivent plus longtemps, il faut baisser le niveau des retraites ! Les quarante dernières années ont vu notre système de Sécurité sociale produire une amélioration incontestable du niveau de vie des retraités et personnes âgées, en même temps que l’accroissement de leur nombre.
Et il faudrait maintenant revenir en arrière pour préserver le niveau des dividendes ?
L’allongement de la durée de vie doit rester un progrès. Il faut, pour cela revoir le partage des richesses. Non pas entre jeunes et vieux comme certains veulent nous le faire croire, mais entre les rentes et les dividendes d’une part, les salaires d’autre part.
► Pour consolider la répartition solidaire à prestation définie : il faut mettre l’EMPLOI en priorité
Les trois principes sur lesquels a été construit notre système de retraite à la Libération sont nécessaires et indissociables : la répartition, la prestation définie et la solidarité.
La répartition contre toute emprise de la capitalisation. Tout le monde prétend défendre la répartition, y compris le patronat, mais tout est fait pour ménager une place de plus en plus importante à des compléments en capitalisation. Tout financement orienté vers la capitalisation est un financement soustrait à notre système par répartition et donc un facteur de fragilisation.
La prestation définie est une garantie pour l’avenir et l’élément clé de la confiance des jeunes générations dans notre système intergénérationnel. C’est pourquoi le « taux de remplacement » de 75 % (base + complémentaires) doit rester un objectif garanti pour une carrière complète.
La solidarité, organisée à l’intérieur du système de retraite et financée par les cotisations est alors un DROIT, lié au travail, permettant de répondre aux aléas du travail –emploi et rémunération- de la santé, du veuvage… C’est le contraire d’une allocation de charité ou d’assistance.
Pour permettre la mise en œuvre de ces principes, il faut assurer un haut niveau d’emploi. Signalons, au passage, que l’emploi est la condition indispensable à tout mécanisme de retraite, y compris en capitalisation, par points par comptes ou en annuités… Les ressources nécessaires au financement proviennent de l’activité économique et donc suivent le niveau de l’emploi.
C’est pourquoi les propositions de la CGT en matière de financement ont toutes un double objectif : apporter un financement supplémentaire et, en même temps, contribuer à maintenir ou développer l’emploi salarié. Le mode de calcul des cotisations retraites doit favoriser le développement de la masse salariale. Il s’agit par exemple de moduler les cotisations en baissant celles des entreprises qui donnent priorité à l’embauche et à la progression des salaires et de relever celles des entreprises qui priorisent les revenus financiers.
Ces propositions ont pour objectif de renforcer la qualité des emplois, tant pour le niveau des salaires que pour leur stabilité et les conditions de travail. La retraite étant le reflet de la vie active, la bataille des retraites s’inscrit pleinement dans la bataille de l’emploi, des 32h, des salaires, des conditions et de l’organisation du travail.
► Assurer l’égalité et la justice avec un SOCLE commun de garanties pour tous
Si les modalités de calcul des retraites diffèrent entre secteur privé et secteur public, les niveaux de pensions à qualifications et carrières comparables sont équivalents. Le COR (Conseil d’Orientation des Retraites, organisme officiel regroupant les acteurs sociaux et les représentants des régimes) l’a, à plusieurs reprises, démontré. Comparer des mécanismes d’acquisition de droits n’a pas de sens. Ce qui a du sens c’est de comparer des niveaux de pensions. La seule vraie différence tient au fait que dans le secteur public, contrairement au secteur privé, la pénibilité est reconnue et prise en compte depuis longtemps.
Ce qui importe pour la CGT c’est le socle commun de garanties, auquel doit aboutir chaque régime, éventuellement par des modalités différentes adaptées aux types de carrières du secteur concerné. Ce socle, commun à toutes et tous, repose sur des garanties essentielles :
- Garantir la possibilité d’un départ à 60 ans ;
- Assurer un niveau de pension d’au moins 75 % du revenu d’activité pour une carrière complète ;
- Elever le minimum de pension au niveau du SMIC pour une carrière complète
- Indexer les pensions sur l’évolution des salaires et non pas sur les prix ;
- Reconnaitre la pénibilité par une politique de prévention et de réparation : amélioration des fins de carrières (par exemple temps partiel) et départs anticipés dans des conditions permettant réellement de les prendre.
- Une politique volontariste d’égalité salariale femmes-hommes, améliorant la retraite des femmes et abondant les ressources des régimes.
► Le maintien des principaux régimes implique une COORDINATION de l’ensemble du système, afin d’en assurer la cohérence et la solidarité. Pour cela, il faut réintroduire de la démocratie.
La plupart des régimes de retraite disposent d’organes de gestion, en général des conseils d’administration, appelés à suivre les droits, les prestations et les comptes financiers pour chacun d’eux. Même si certains régimes n’en disposent pas (la Fonction publique d’Etat par exemple) et même si leurs compétences ont été considérablement amoindries au fur et à mesure des dernières réformes, les conditions minimales de débats existent.
En revanche, au niveau du « système » de retraite dans son ensemble, il n’y avait, jusqu’à la réforme Hollande de janvier 2014, aucune institution chargée du « pilotage » d’ensemble, sinon le gouvernement lui-même avec le ministère des affaires sociales.
Avec la loi du 20 Janvier 2014 a été créé un « Comité de Suivi des Retraite » (CSR), composé de cinq « experts » accompagnés d’un « jury citoyen » d’une douzaine de personnes, renouvelé chaque année par tirage au sort et réuni sur une journée. En juillet de chaque année, période qui ne doit rien au hasard, ces experts et eux seuls, donnent leur avis au gouvernement sur ce qu’il y a lieu de faire en matière de retraites pour l’année à venir.
Voilà la réponse qui a été donnée à la revendication de la CGT de création d’un organisme de coordination chargé du pilotage d’ensemble ! Nous sommes évidemment loin du compte. A notre demande de débat social on a répondu : gestion comptable. A notre revendication de retour de la démocratie sociale on a répondu : technocratie…
En réalité, un nouveau pas a été franchi pour déposséder encore davantage les acteurs sociaux de leur possibilité d’intervention dans la gestion des retraites. Leur droit d’expression a même été méprisé au point de leur substituer un « jury » de quidams tirés au sort !
Au-delà de la formulation de notre revendication d’une « maison commune des régimes de retraite », formulation qui peut être discutée, son principe doit être mis en avant, avec le retour à des élections sociales permettant de réintroduire la démocratie indispensable à la transparence et à la défense commune de notre Sécurité sociale.
La « Maison commune des régimes », qu’elle qu’en soit l’appellation définitive, aura pour mission d’organiser :
– un pilotage démocratique de l’ensemble du système ;
– les dispositifs de solidarité internes aux régimes et entre régimes ;
– l’égalité femmes-hommes ;
– la reconnaissance de la pénibilité ;
– les solidarités financières entre régimes (compensation).
Elle doit résulter d’un processus d’élection démocratique par les assurés sociaux.
3 – La retraite et le contexte électoral de 2017
Non à l’ubérisation des retraites
Le nouveau président de la République a inscrit, dans son programme électoral, le projet d’une réforme « systémique » des retraites. La perspective dégagée par Macron est la fusion des régimes actuels fonctionnant en annuités avec une solidarité interne, dans un nouveau régime unique, qui fonctionnerait en points (ou en comptes « notionnels ») et dont la solidarité pourrait être évacuée et reportée sur une assistance publique financée par l’impôt.
Rappelons que l’accord du 30 octobre 2015 sur la fusion des régimes complémentaires Arrco- Agirc, s’est opéré dans un cadre imprégné de la même philosophie. Les signataires (CFDT, CFTC, CGC et employeurs) ont utilisé la souplesse du fonctionnement en points de l’Arrco et de l’Agirc pour programmer, en même temps qu’une fusion des deux régimes, une période de récession des droits et des prestations bien plus drastique que ce qui est en cours dans les régimes de base.
Ce qui intéresse les tenants de telles solutions : régime unique et mécanisme par points ou comptes, ce n’est pas tant une simplification pour les assurés sociaux –ce qui d’ailleurs ne sera absolument pas le cas- ce sont avant tout les automatismes de gestion qu’elle permet. La retraite ne serait définitivement plus un enjeu de société, un sujet de débats démocratiques et de mobilisations sociales, mais seulement un exercice technocratique d’objectifs financiers et d’indicateurs comptables.
Et on reliera ce projet présidentiel à la nomination d’un premier ministre issu des « Républicains ». En se souvenant du contenu du projet de leur candidat à la présidentielle, avec des mesures ne répondant à aucune nécessité de gestion, mais imprégnées d’une conception punitive de la retraite avec notamment un retour de l’âge d’ouverture à 65 ans.
* * *
La proposition d’une réforme « systémique » des retraites n’est pas nouvelle. Elle avait jusqu’ici été écartée, notamment pour la raison qu’elle impliquait une transition longue, risquée et très coûteuse, ce dernier argument ayant jusqu’ici arrêté le patronat dans ses élans.
Les partisans ont toujours mis en avant la transparence et l’équité de ce type de système.
Arguments contestables car la prévisibilité pour les salariés est, sur le moyen et le long terme, très inférieure à la répartition en prestation définie. Le niveau de la pension future est en effet soumis à plusieurs paramètres totalement inprogrammables (productivité, taux de croissance, durée de vie, inflation…). Il s’agira en fait d’un grand saut dans l’inconnu.
En réalité ce sont d’autres arguments qui séduisent les défenseurs d’une telle réforme.
Le premier tient au fait qu’il s’agira d’un système à cotisations définies. C’est le niveau des pensions qui servira de variable d’ajustement. Sa technicité exclut l’intervention des représentants desassurés devenus de simples « consommateurs » appelés à se débrouiller seuls. Ce que certains considèrent comme un progrès !
C’est en effet un mécanisme fondamentalement individualisé. La solidarité disparaît, on passe à un mécanisme d’assistance pour les plus fragilisés, financé par l’impôt c’est-à-dire pour l’essentiel par les salariés. Beau progrès !
Ce projet trouve logiquement sa place dans le programme concocté par le nouveau président, à côté de la réforme du code du travail par exemple. D’une certaine manière il s’agirait d’une « ubérisation » de la retraite : chacun pour sa pomme et le Dieu du commerce pour tous…