SGLCE
Wolters Kluwer FranceQuand la justice autorise l’optimisation fiscale pour flouer les salariés
14 mars 2018
En juillet 2007, la société d’édition professionnelle Wolters Kluwer décide de fusionner huit sociétés (Groupe Liaisons, Lamy, AFL, Dalian, etc.) pour donner naissance à sa filiale française : Wolters Kluwer France (WKF). Pour réaliser cette opération, WKF a contracté, à un taux bien supérieur au marché, un emprunt de 445 millions d’euros auprès de la maison mère (LBO interne), via la société Holding WKF. Cet emprunt colossal, qui continue de peser lourdement sur les comptes de WKF, a abouti à priver l’ensemble des salariés de l’entreprise de toute participation jusqu’en 2022 (date de la fin du remboursement des intérêts d’emprunt). Il a aussi considérablement diminué les capacités d’investissement de l’entreprise. Cela revenait à acheter ce que la société possédait déjà.
En outre, le montage financier choisi pour créer WKF a contribué à rendre la filiale française non imposable à l’impôt sur les sociétés et à percevoir des subventions de l’État. Les actionnaires, quant à eux, ont empoché pas moins de 555 millions d’euros de dividendes exceptionnels, remontés en 2007 à la maison mère aux Pays-Bas.
WKF prétendait ainsi constituer une grande société de presse et d’édition. Il n’en a rien été : la direction a procédé dans les années qui ont suivi à un plan social (184 suppressions de postes) et aux cessions de pans entiers d’activité (notamment les pôles Santé et Presse), sans réaliser aucune acquisition. Dix ans après la fusion, l’entreprise est passée de 1 200 à 440 salariés.
La CGT, la CFDT, la CNT et le SNJ décident de saisir la justice. Le 2 février 2016, la Cour d’appel de Versailles donne raison aux syndicats et reconnaît le préjudice subi par les salariés, estimant que « les sociétés WKF et Holding WKF, par des manœuvres frauduleuses constituées à la fois par la non-communication au CE des documents comptables légalement obligatoires et par un discours trompeur auprès du CE, ont sciemment dissimulé au CE de la société WKF […] l’augmentation importante de l’endettement de la société WKF ayant pour effet direct l’absence de réserve spéciale de participation et donc du versement de cette participation aux salariés ». Elle juge donc que les conséquences de cette opération sont inopposables aux salariés. Autrement dit, la participation doit être restituée aux salariés qui en ont été privés.
WKF se pourvoit en cassation. Le 28 février 2018, la Cour de cassation a cassé sans renvoi la décision de la Cour d’appel de Versailles. Si elle ne conteste pas les conséquences de l’optimisation fiscale sur les salariés et leur participation, elle a toutefois décidé de l’absoudre, estimant que, conformément à l’article 3326-1 du Code du travail, le calcul de la réserve de participation avait été certifié en amont par un commissaire aux comptes.
Cette décision est une décision politique, l’arrêt de la Cour d’appel ayant eu un grand retentissement dans les milieux d’affaires. Certains commentateurs avaient alors relevé que, lors de montages financiers visant à l’« optimisation fiscale », les dirigeants devaient dorénavant prendre garde à ne pas aller à l’encontre des droits des salariés et des prérogatives des représentants du personnel.
Alors que le projet de loi sur la participation va bientôt être discuté, nous devons saisir nos représentants à l’Assemblée nationale et au Sénat afin de réviser l’article L. 3326-1 du Code du travail qui est fatal aujourd’hui aux salariés et sur lequel s’appuie la Cour de cassation dans son arrêt.
Paris, le 14 mars 2018